vendredi 25 octobre 2013

Épisode 2 : le prix Femina ou l’esprit de revendication

Comme le nom l’indique, le prix Femina semble, de prime abord, surtout être une affaire de nanas. Né en 1904, il est contemporain du Goncourt, qui a refusé de primer une femme. Le prix Femina est donc l’expression d’une contestation, mais également d’une revendication : la reconnaissance des femmes de lettres, en ce début de XXe siècle.

Contrairement au Goncourt, le prix Femina n’est donc pas né d’un rêve, mais bien d’une réalité à laquelle les femmes qui écrivent sont confrontées : l’absence de reconnaissance et la difficulté d’être reconnue en tant qu’auteur. Son originalité repose aussi sur le fait qu’il est issu de la presse féminine, qui connait un bel essor au début du XXe siècle. Il est drôle de constater que le magazine Femina et Vie heureuse, à l’origine du prix Femina, ont été fondés par des hommes.

Il ne s’agit donc pas, par ce prix, de déclarer la guerre à la gente masculine, mais bien de revendiquer une place réelle pour les femmes, au sein du monde littéraire et culturel. Il est aussi question de « business » : il ne faut pas oublier que la lecture, surtout à cette période, est une activité assez féminine. Ces femmes – et ces hommes ! - surfent sur la vague, peu exploitée, de la création et de l’expression féminine. Le refus du Goncourt pourrait finalement être perçu comme une aubaine…

Il y aurait beaucoup à dire sur la presse féminine au XXe siècle. Retenons juste, pour le prix Femina, que le développement de magazines féminins, placés entre vie pratique, culture et émancipation – ce qui est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui pour un bon nombre d’entre eux- a contribué à la reconnaissance de l’écriture féminine.


Aujourd’hui, le prix Femina fait parti des récompenses littéraires les plus convoitées. Son jury et sa présidence sont toujours exclusivement féminins. Cela n’empêche pas de récompenser les auteurs des deux sexes, pourvu que le texte soit de langue française, en prose ou en poésie. Comme les autres prix, le Femina s’est depuis ouvert à la littéraire étrangère et à l’essai. 

Sources :
DUCAS Sylvie, "Le prix Femina : la consécration littéraire au féminin", Recherches féministes, vol. 16, n°1, 2003, p. 43-95.http://www.erudit.org/revue/rf/2003/v16/n1/007343ar.html/fr-fr/007342ar.html?vue=integral

lundi 14 octobre 2013

Episode 1 : le rêve des Goncourt

Jules et Edmond ont un projet : reconstituer l’ambiance des salons littéraires du XVIIIe siècle. Tout les deux férus de littérature et d’art, ils se démarquent par leur sensibilité et leur écriture. Mais Jules meurt soudainement. Edmond réalise donc seul le rêve de ces deux esprits intimement liés et ouvre en 1884 le Grenier, situé au dernier étage de leur hôtel particulier. Il s’agit d'un salon littéraire, fréquenté par les dix, qui formeront plus tard la première académie. Le second frère Goncourt meurt en 1896. Il n’a pas eu le temps de constituer la société littéraire Goncourt, tâche qui incombe alors à Alphonse Daudet, le légataire universel. Le but est de décerner un prix à une œuvre d’imagination en prose. 

Nous sommes à la fin du XIXe siècle, et l’Académie Française a refusé d’immortaliser Balzac, Flaubert, Zola, Baudelaire. La société littéraire Goncourt va alors très vite devenir Académie, pour s’opposer à l’Académie française. La première se tient le lundi 21 décembre 1903. Le vote a lieu au restaurant Champeaux, situé place de la Bourse à Paris. C’est John-Antoine Nau qui reçoit le premier Goncourt, avec Force ennemie, aux éditions La Plume. Mais pourquoi le vote a-t-il lieu dans un restaurant ? Parce que l’académie n’a pas de siège à proprement parlé. De la nourriture, des débats : tout ce qu’il faut pour passer un bon moment entre amoureux de la littérature. La nomination de John-Antoine Nau passe quasiment inaperçue. Mais dès la seconde année, le prix fait parler de lui.

Aujourd’hui la tradition est respectée : les dix se réunissent toujours au restaurant Drouant. Tous les mois ils se retrouvent, et en novembre, il faut choisir. Les échanges sont parfois houleux, les délibérations longues. Une certaine effervescence est palpable. Cependant il semble que le prix Goncourt ait perdu un peu de son impertinence : pas de prises de risque diront certains, trop prévisibles diront d’autres. Je n’ai pas encore suffisamment suivi les choix de l’académie Goncourt pour pouvoir en juger. Quoi qu’il en soit, ce prix est toujours considéré comme une référence et les débats qu’il provoque, prouvent que les prix littéraires sont nécessaires, ne serait-ce que pour l’émulation qu’ils suscitent.

Les prix littéraires

Avec l’automne, arrive la période des prix littéraires : Goncourt, Renaudot, Femina, Médicis… pour les plus connus. Mais ils appartiennent en réalité à une grande famille dans laquelle certains récompensent des romans historiques, d’autres des polars ou encore des auteurs régionaux. Et cette famille est bigrement influente !

En effet, le petit bandeau rouge et blanc rassure : le lecteur va pénétrer dans un univers récompensé par des gens de lettres, des savants, des critiques littéraires. L’œuvre est validée, estampillée. Mais quelle est leur utilité, mis à part donner un sacré coup de pouce aux ventes ? Ils font partis de notre quotidien, mais qu’est-ce que c’est, un prix littéraire ?

Une enquête s’impose, et pour bien assimiler, il faut d’abord absorber et digérer… Cette image du système digestif mis à part, il est clair qu’une bonne compréhension d’un sujet, mérite que l’on s’y attarde, que l’on prenne son temps… et que l’on prenne plaisir. Alors je ne vous assommerai pas avec un long et unique billet… mais avec plusieurs, à l’image des feuilletons. Prêts ?

vendredi 4 octobre 2013

Le diable est dans les détails... par Ozer

"...les gens paraissent souvent penser que leur seule chance de bonheur, c’est de partir et de tout recommencer ailleurs, mais la plupart ne sont pas conscients du fait qu’ils déplacent du même coup leurs problèmes avec eux.
Qu’importe l’endroit, il y a de fortes chances pour qu’ils continuent à être la même personne. Bien que je pense qu’il puisse y avoir des exceptions, j’en ai eu la confirmation à bien des reprises.
Mais je crois à la possibilité de la rédemption et je pense que mes livres le prouvent à leur manière, même si je dois admettre que ces moments de grâce sont parfois fugitifs..."

Donald Ray Pollock

Donald Ray Pollock a vu le jour en 1954 à Knockemstiff dans l'Ohio, un bled situé à quelques encablures de l'US highways 50, entre Hillsboro et Chillicoth, ville où Pollock vit actuellement.
Il attendra son quarantième anniversaire et des litres d'alcool pour décider d'abandonner son boulot abrutissant dans l'usine locale de pâte à papier qui l'emploie depuis plus de 30 ans, pour devenir écrivain... I
l s'inscrit à des cours d'écriture à l'Université d'État de l'Ohio et en 2008 est publié son premier ouvrage, un recueil de nouvelles intitulé Knockemstiff (éd. Buchet-Chastel, 2010). Ce recueil de 18 nouvelles sanglantes, raconte la vie de merde de loosers rêvant de soleil... Serait-il question de la vie de ses voisins de Knockemstiff , peut-être bien...

En février 2012, alors que s'éteint
Whitney Houston et que l'équipe de Zambie remporte la Coupe d'Afrique des nations de football, en France, une histoire qui ressemble à la fin du monde, ayant pour titre Le Diable tout le temps est disponible en librairie... La critique est dithyrambique, le succès est immédiat, premier roman, premier coup de maître !

Ce roman policier crépusculaire, s'interroge à travers plusieurs destins croisés traversés par un personnage, sur la part d'ombre qui réside en chacun de nous.
Dans cette histoire on y retrouve la même bande de paumés que dans Knockemstiff. Pollock a trouvé une encre encore plus noire, son style, ses mots (maux) torturés passent du lyrisme le plus sombre au dialogue ravageur. Le pessimisme de ce roman est tel qu'aucun personnage n'en ressort indemne, même si...

Le Diable tout le temps, œuvre hypnotique, vous replongera certainement dans le sombre Sanctuaire de Faulkner... Bonne lecture.

Ozer.



Le Diable tout le temps, The Devil all the time, traduit de l'anglais (États-Unis) par Christophe Mercier, Ed. Albin Michel, coll. Terres d'Amérique, 380 pages, 2012, roman policier.