vendredi 29 novembre 2013

« Work Hard, Have Fun, Make History », bienvenue en terre amazonienne



Charlie Chaplin, Les temps modernes, 1936. © Roy Export S_A_S, courtesy Musée de l'Élysée, Lausanne 
Ça y est ! C’est bientôt la période des fêtes et des cadeaux. Qu’ils soient faits mains, amusants, symboliques, ou délicieusement futiles, ça a un coût. Et que dire lorsqu’il faut commander : va-t-il arriver à temps ? C’est là qu’arrivent les petits bons fabriqués avec soin pour faire patienter, devenant parfois un véritable moyen d’expression.

Une autre solution, moins créative : Internet. Et là, on trouve de tout – et euh, parfois n’importe quoi – à tous les prix. A ce titre, Amazon est LE site de vente en ligne, où Joyce Carol Oates côtoie le dvd de la dernière saison d’Hollywood Girl. C’est  dire s’il est possible, pour tous, de trouver son bonheur. Plus besoin de commander chez un commerçant, même plus besoin de se déplacer et le must : la commande arrive en deux jours… Si c’est pas tip top ça ! Mais je me questionne : comment font-ils pour aller si vite ? Ah oui, il y a des sites en Allemagne, et trois en France. Mais tout de même, lorsque je commande un livre chez mon libraire, cela prend plus de deux jours, parfois une semaine… C’est bizarre.


Alors mon enquête débute, projet professionnel oblige, par l’étude de la chaîne du livre, entendez sa chaîne de fabrication, de la création artistique au lecteur. Bon, passons sur le terme de « chaîne » qui déjà est bien connoté. Non, ce qui m’intéresse ici, c’est le nombre d’intermédiaires nécessaires pour que le travail d’un esprit arrive entre les mains d’un lecteur. Et il y en a du monde : tout d’abord, un auteur, puis un éditeur, mais aussi un diffuseur, un distributeur. S’ensuivent la librairie – ou points de ventes, grandes surfaces –, la bibliothèque – si si, elle a un rôle important ! – et, tout au bout, nous. Et oui, c’est une véritable économie, avec de nombreux acteurs, qui travaillent ensemble. On a même envie de dire que si l’un se casse la figure, ça va être dur dur pour les autres. Enfin bref. Tout ça pour dire, que pour que l’objet arrive entre nos mimines fébriles, il faut du temps, juste un peu. Parce que bon, faut pas exagérer : attendre une semaine, ce n’est pas non plus la mer à boire… Et cela est valable pour tout : il y a toujours, derrière l’objet, des petites mains qui conçoivent, préparent et diffusent.


Oui, mais… si on a oublié d’acheter le cadeau ? Si on a trop de boulot ? Si l’idée est arrivée tardivement ? Si on en peut plus de ne pas savoir comment le Docteur va faire pour sauver, une nouvelle fois, le monde ? On se tourne vers les sites de vente en ligne, dont Amazon : c’est assez plaisant en effet, d’avoir l’objet tant convoité seulement 48 heures après avoir passé la commande. Au fil de mes recherches, sur Internet cette fois, je découvre de nombreux articles sur cette entreprise : concurrence déloyale, conditions de travail déplorables, non paiement d’impôts, le boom du livre numérique, et des portraits du PDG Jeffrey Preston Bezos. Nous sommes en 2013, et on en parle depuis au moins 2008… J’ai un « léger » retard sur le sujet. Hum. En tout cas, Amazon est partout. 



Finalement, je lis l’article de Jean-Baptiste Malet « Amazon, l’envers de l’écran », publié dans Le Monde diplomatique de novembre 2013 (n°716). Le journaliste a pu voir, vivre, le quotidien des employés. Il en ressort un article qui, à mon sens, est suffisamment étayé pour achever de me convaincre : Amazon a un fonctionnement dangereux et son « Work Hard, Have Fun, Make History » me fait un peu peur. La démarche première de cet article, était de vous convaincre de ne plus acheter sur Amazon. Le boycott donc. Mais cet objectif ne me satisfaisait pas : j’ai acheté sur Amazon sans me poser de question. Elles sont – enfin ! – venues au fil de mes lectures, de mes déambulations et de mes achats, que je veux les plus raisonnés possibles – j’entends par là « bien » acheter. Je me suis donc forgée un avis et je ne ferai plus mes courses sur Amazon. 



Le but donc de cet article ? Suffisamment titiller votre curiosité pour vous donner envie de vous documenter. Ou pas. Je vous invite en tout cas à lire l’article cité ci-dessus, que vous trouverez en kiosque et sur le web. L’auteur de cet article, Jean-Baptiste Malet, a publié un livre, en mai 2013, intitulé En Amazonie : Infiltré dans le « meilleur des mondes » et édité chez Fayard. Je ne l’ai pas lu, il ne fait donc pas parti de mes sources. Petit truc rigolo : il est en vente sur Amazon :)


Bien entendu, je vous invite également à croiser vos sources. 

Sources :


Marc JAMMET, « La dimension économique de l’édition » dans E. Payen, dir., Les bibliothèques dans la chaîne du livre, Paris, Cercle de la librairie, 2004, p. 55-90.


Jean-Baptiste MALET, « Amazon, l’envers du décor », Le Monde diplomatique, n°716, novembre 2013, p. 20-21.

Grégory MARIN, « Jean-Baptiste Malet ; l’internaute doit savoir ce qu’il y a derrière l’écran », l’humanité.fr, 2 mai 2013, consulté le 29/11/2013.


François ROUET, « Diffusion et distribution : place et enjeux pour la filière du livre et l’offre non marchande des bibliothèques » dans E. Payen, dir., Les bibliothèques dans la chaîne du livre, Paris, Cercle de la librairie, 2004, p. 125-142.

Laurence TARIN, « Production du savoir et industries culturelles » dans Y. ALIX, dir., Le métier de bibliothécaire, Paris, Cercle de la librairie, 2013, p. 77-96.



mercredi 20 novembre 2013

Bienvenue à Krafton... par Ozer


«Les lois sur le meurtre, et même les exigences de Dieu, n’accordaient pas la paix. Pas toujours. Il resterait la douleur ». 

Qu'est-ce qu'une nouvelle ? C'est un genre littéraire, la nouvelle est un récit de fiction court et en prose. 

Quelle est sa structure ? Théoriquement et contrairement au roman, elle est centrée sur un seul événement. L'action commence rapidement. Les personnages sont peu nombreux et sont moins développés que dans le roman. Le final est souvent inattendu, il prend la forme d'une « chute » qui peut-être longue de quelques lignes seulement.


Alors je m'interroge... Pourquoi Heathcock a réduit La fille, énigmatique et sombre récit à une nouvelle ? La vie et l'histoire de ses pathétiques personnages ne sauraient tenir qu’en trop peu de lignes. Car oui, Ce récit est trop à l'étroit dans son costume de nouvelle, quel dommage, son tailleur aurait dû lui proposer la taille roman XL .. Non, on ne peut pas mettre 50 cl d'un bon vieux whisky dans un flacon qui ne peut en contenir que 40, on en met forcément à côté !

Mais, amis lecteurs soyez sans crainte, Volt, œuvre d'un grand lyrisme, est un livre solide et Alan Heathcock, originaire de Chicago, qui se consacre actuellement à son premier roman, ne vous laissera pas indifférent. Volt propose huit nouvelles sombres et douloureuses aux personnages parfois récurrents. Si les histoires de Heathcock sont truffées de références bibliques, Krafton, petite ville miteuse imaginaire où se déroule l'action n'a rien du paradis, mais ce n'est pas (encore) l'enfer non plus...

Un filet de lumière, souvent vacillant éclaire juste suffisamment les quelques fantômes fatigués encore lucides survivant dans ce bled usé sur lequel s’abattent inondation, meurtres, accidents funestes, drames familiaux, non-dits assassins, et autres secrets inavouables : un homme réveille son fils adolescent au beau milieu de la nuit afin de l'assister à faire disparaître le corps de sa victime qu'il vient de fracasser. Une femme, la shérif du bled, décide de faire justice elle-même, pour être certaine qu'une ordure reçoive le châtiment qu'il mérite. Des adolescents s'imaginent une future vie loin de Krafton, mais un drame va les changer à jamais. Un meurtre pour le vol d'un pick up va rendre dingue la fille de la victime, qui a son tour va commettre le pire dans un labyrinthe improbable. Un fermier responsable de la mort de son mioche s'enfuit  sans prévenir et se retrouve bête de foire...

« Peut-être que les choses horribles sont tout ce qu’il reste à Dieu pour nous rappeler qu’il est vivant. »

Alan Heathcock, Volt, éditions Albin Michel, collection « Terres d’Amérique », traduit de l’américain par Olivier Colette, septembre 2013, 300 pages, 23 €.

Ozer



lundi 18 novembre 2013

Episode 3 : Le prix Renaudot, une voix de la presse

À l’instar du prix Femina, le prix Renaudot est né d’une réaction face au prix Goncourt. Mais le parallèle s’arrête là. Car, si le Goncourt est issu d’une volonté de donner ses lettres de noblesse au roman, si le Femina a pour but de valoriser les auteurs tous sexes confondus, le prix Renaudot est décerné à l’origine par dix journalistes et critiques littéraires qui attendent, autour d’un déjeuner, le nom du lauréat du prix Goncourt. Il s’agit donc d’un prix « officieux », qui trouve sa genèse dans l’ennui (et la faim !) des journalistes qui couvrent l’événement. Depuis 1926, les « dix du Renaudot » se réunissent donc le même jour que les « dix du Goncourt » et se prononcent traditionnellement après ces derniers. Souvent, deux ouvrages sont sélectionnés, au cas où l’un d’entre eux serait nommé par le Goncourt. Il flotte donc comme un léger parfum de rectification du prix décerné par l’académie.

Mais pourquoi Renaudot ? Non, il ne s’agit pas du nom du fondateur mais de Théophraste Renaudot, né en 1586. Ce vieux monsieur, médecin et philanthrope, est également considéré comme le fondateur de la presse en France, avec la Gazette, outil de propagande et d’information. Il n’est effectivement pas possible de parler de presse libre : « Renaudot n’a jamais caché l’état de subordination dans lequel se trouvait son journal : “Ma plume n’a été que greffière”. Et les propos du cardinal : “ La gazette fera son devoir ou Renaudot sera privé des pensions dont il a jouy jusqu’à présent. ” » (Site internet du musée Renaudot, Loudun). Le prix Renaudot est donc un prix décerné par des hommes et des femmes à l’origine issus du monde de la presse.

Il est intéressant de noter les différentes orientations des prix qui aujourd’hui participent pleinement à la vie littéraire et économique du livre : le Goncourt est une fondation reposant sur des hommes de lettres pour la défense d’une forme artistique, tandis que le prix Femina ainsi que le prix Renaudot sont nés d’une volonté d’offrir au lecteur le son d’une autre voix, celle de la presse.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Le Renaudot, tout comme les autres grands prix littéraires, essuie des critiques : magouilles entre les éditeurs, auteurs, membres du jury… Le Renaudot 2007 est d’ailleurs souvent cité pour illustrer cela. En effet, cette année-là, c’est Daniel Pennac qui est primé. Le problème ? Son ouvrage était absent de la sélection…

Il est cependant rassurant, je trouve, de voir qu’un prix né d’un déjeuner informel entre collègues, puisse perdurer. En effet, cela prouve (ou prouvait ?), sans démagogie, que la littérature est avant tout une affaire de lecteurs. Car, au final, c’est l’avis de ces derniers qui va permettre, ou non, de faire d’une œuvre inconnue, une création reconnue.

Sources :

Site référence du prix Renaudot : http://www.prixrenaudot.org/

Edition numérique du Dictionnaire des journalistes (1600-1789), confié à l’UMR LIRE (Unité mixte de recherche sur la Littérature, Idéologies, Représentations au XVIIIe et XIXe siècles, université Lumière Lyon 2) et à l’Institut des Sciences de l’Homme : http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/677-theophraste-renaudot

Le site internet du Musée Renaudot à Loudun : http://www.museerenaudot.com/press_f.htm



vendredi 15 novembre 2013

Au nom de tous les miens de Martin Gray, par Malo

Né à Varsovie en 1924, de confession juive, Martin Gray connaît dès ses dix-sept ans, l’horreur de la seconde guerre mondiale. Très vite et malgré son jeune âge, une force puissante l’anime et son but est de survivre et faire survivre sa famille. Il met tout en œuvre pour y parvenir et ce, malgré le danger, les déportations, les humiliations… Même lorsqu’il perd sa famille, Martin persiste à vouloir non seulement vivre, mais aussi vaincre. Vaincre pour raconter cette abominable vérité des camps nazis. 

Cette fureur de vivre se traduit par un style d’écriture rapide. La mort d’un être cher se raconte en deux-trois lignes, les événements heureux également. Martin ne s’attarde jamais. C’est un livre douloureux, tant par l’atrocité du contenu, que par le style. Bien que les mots utilisés soient simples, le rythme rapide, la multitude de lieux parcourus, les nombreuses personnes qui ont croisées son chemin, les divers surnoms employés rendent la lecture ardue… Un vrai parcours du combattant semblable à celui que le héros de l’histoire / Histoire a mené. Infatigable, Martin prend enfin le temps de vivre lorsqu’il rencontre Dina qui deviendra sa femme et la mère de ses quatre enfants. 

Confortablement installé dans le sud-est de la France, dans cette « forteresse » qu’il avait fantasmé depuis toujours, il profite enfin de la vie à travers des plaisirs simples : la beauté du paysage qui l’entoure, une alimentation saine, voir grandir ses enfants. Cette plénitude ne durera que dix ans, jusqu’au jour où sa femme et ses quatre enfants seront décimés par un incendie. Le sort s’acharne sur Martin, et sa propre mort est une issue à laquelle il a pensé de nombreuses fois. Malgré tout, il décide de continuer à vivre, animé par cette combativité qui l’a toujours accompagné. Une vie qu’il mène pour lui mais aussi et surtout, pour les siens… pour continuer à les faire vivre à travers son récit et ses engagements, notamment la fondation Dina Gray.

Ce livre est donc, en plus d’être un témoignage fidèle de l’Histoire, une formidable leçon de vie et également une source profonde d’espoir en l’Homme qui, même dans l’adversité, est capable de renaître et de produire le meilleur.


« Mais je veux encore dire, encore continuer, être fidèle. Vivre, vivre jusqu’au bout et un jour, si vient le temps, donner à nouveau la vie pour rendre ma mort, la mort des miens impossible, pour que toujours, tant que dureront les hommes il y ait l’un d’eux qui parle et qui témoigne au nom de tous les miens. »

Malo

Martin Gray, Au nom de tous les miens, Pocket, 2012